Interview – Pourquoi développer une marque de slow fashion, c’est si compliqué ?
Entretien avec des acteurs de la slow fashion
Le secteur du textile vit des jours compliqués actuellement, l’inflation et l’émergence de marques impitoyables augmentent les difficultés. Et encore, ça c’est pour la mode dite “traditionnelle”, qu’en est-il des marques éthiques et écoresponsables ? J’ai posé les mêmes questions à 7 créateurs de marques de slow fashion. Même si les vies sont différentes, on se rend vite compte que les problématiques et les envies sont très similaires.
L’aspect esthétique a pris une grande place dans nos vies, on s’attend à ce qu’un fruit soit beau, à ce qu’une voiture soit design. Un vêtement doit épouser un corps, la couture est un savoir-faire, une technique, qui demande du temps et des compétences. Mais ça, beaucoup l’ont oublié avec la fast fashion et la mode “pas chère”.
On ne se préoccupe plus de savoir combien de temps ça a pris pour être conçu et produit. Et pourtant, ça a toute son importance dans le processus de fabrication. Le vêtement est là, à portée de main ou de clic, avec un prix parfois dérisoire, mais qu’importe, le plus important c’est de se faire plaisir et peut-être de se vêtir aussi…
Mais ce n’est pas l’avis et l’envie de tout le monde. La plupart des créateurs que j’ai interrogés avaient soit un besoin personnel, soit une envie de faire mieux.
Pour rédiger cet article j’ai interviewé :
Anne Montecer Les Sublimes – Vêtements pour femmes, intemporels et sublimes. Fabrication : 🇪🇺 & 🌏 |
Benjamin Lenoir Coton Vert – Vêtement pour femmes et hommes, basiques responsables. Fabrication : 🇫🇷 – 🇪🇺 & 🌏 |
Camille Brun-Jeckel Second Sew – Vêtements pour enfant, avec des linges de maison upcyclés. Fabrication : 🇫🇷 |
Clément Douillet Douillet – Vêtements pour femmes et hommes, maille de haute qualité. Fabrication : 🇫🇷 |
Irelle Kouakou Ya Maison Kouakou – Vêtements pour femmes et hommes, couture et ethnique. Fabrication : 🇫🇷
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Ludivine Abruzzo Peau éthique – Sous-vêtements pour femmes, hommes et enfants, en tissus bio. Fabrication : 🇫🇷 & 🌏
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Nicolas Delin Nineo – Collants recyclés hyper résistants (En cours de création) Fabrication : 🇫🇷 |
Pourquoi ont-ils lancé une marque de slow fashion ?
À nouveau, les raisons sont diverses, mais elles se croisent, chacun et chacune à un moment, a eu une opportunité de se lancer. Mais surtout, ils ont eu envie de faire mieux et de proposer une alternative à ce qui existe, pour être plus éthique, plus écoresponsable, c’est ce que j’ai ressenti lors de mes interviews.
Non pas pour surfer sur une vague “verte”, comme certaines marques de fast fashion, on vous voit. 🤭
Le déclic pour certains, c’était de répondre à un besoin en consultant une communauté de personnes engagées comme Coton Vert, de pallier à des problèmes d’eczéma de certains proches pour Peau éthique, de créer un collant de qualité pour Nineo pour éviter le gaspillage, ou encore une belle opportunité pour Les Sublimes, et l’envie de proposer un dressing idéal, de qualité, intemporel où on pourrait tout acheter les yeux fermés.
Pour Second Sew, Douillet et Maison Kouakou, c’est leur passion pour le milieu créatif et les vêtements qui les ont poussés à lancer leur propre marque de mode.
Lancer sa marque de mode n’a jamais été simple, mais c’est encore plus difficile quand il s’agit d’une marque de slow fashion.
Faire perdurer sa marque de slow fashion est un combat de tous les jours
Encore plus quand on est en concurrence avec des marques qui usent et abusent de greenwashing,
Les marques traditionnelles abusent d’un langage écolo douteux et trompeur pour faire croire tout et n’importe quoi au consommateur. Le consommateur ne verra plus ensuite l’intérêt de consommer une marque de slow fashion, qui peut coûter plus chère.
C’est d’ailleurs un sujet qui est revenu pratiquement chez toutes les personnes que j’ai interviewées : trouver le juste prix, pour s’en sortir, investir, développer les prochaines collections, communiquer, et juste vivre (aussi), tout en proposant un prix acceptable pour le consommateur.
Il faut réussir à faire comprendre le prix, car la fast fashion nous a fait oublier la valeur d’un vêtement.
Sur 7 personnes interrogées, 2 arrivent à vivre de leur activité, 2 n’arrivent pas à en vivre tous les mois et 3 pas du tout.
Trouver son équilibre est vraiment compliqué, beaucoup de créateurs se sentent pris à la gorge, tellement les problèmes sont lourds, inédits et répétitifs.
Les petites marques ne sont pas prioritaires dans les ateliers de production, comme les quantités sont moins importantes. Beaucoup ne veulent pas produire pour “si peu”, et parfois, certains ateliers imposent des quantités minimales énormes. Comme ces marques ne sont pas prioritaires sur la chaîne de production, certaines collections ne sont pas sorties à temps pour la saison. Trouver LE BON ATELIER s’avère être une véritable aventure.
Nineo qui souhaite développer le collant le plus résistant du marché et écoresponsable, rencontre des difficultés à trouver l’usine qui acceptera de mettre du temps et de l’énergie pour innover et développer le produit.
Les préjugés ont la vie dure, Camille de Second Sew en a fait les frais, une femme qui lance des vêtements pour enfant, avec des tissus upcyclés à partir de linge de maison, vous voyez ce que certains peuvent penser… 🙄 Malheureusement, Camille n’a pas été prise au sérieux par certaines banques pour l’aider à développer son projet. Heureusement, récemment elle a pu compter sur sa communauté, avec la campagne WE DO GOOD, avec laquelle elle a levé des fonds.
Enfin, les créateurs sont unanimes, se faire connaître et avoir de la visibilité est le nerf de la guerre pour toute marque. Plus on est visible et plus on peut vendre, mais comment vendre quand il est plus facile d’acheter des espaces publicitaires sur les réseaux sociaux, que d’être visible “naturellement” sur ces mêmes réseaux.
Même si un entrepreneur doit avoir “toutes” les casquettes pour maintenir sa marque, tout le monde n’est pas communicant de formation.
Un autre moyen de se faire connaître, est la présence en boutique, pour apporter de la visibilité, mais comment faire quand la marge est déjà mince ? Augmenter le prix ? Réduire sa marge au risque de ne pas produire la prochaine collection ?
Ces marques qui prônent une mode meilleure pour la planète et l’humain, doivent s’adapter et se remettre constamment en question pour survivre.
Les solutions des créateurs pour survivre
🔥 ÊTRE FLEXIBLE ET SOLIDE
C’est un peu le mantra des entrepreneurs de la slow fashion. Il faut savoir s’adapter à tout instant pour faire face aux problématiques, et avoir les reins solides.
Peau Éthique est l’une des plus anciennes marques que j’ai interviewées, certains produits sont fabriqués hors Europe, en 2008-2009, toute une commande qui venait par bateau, a été brûlée dans un incendie, l’assurance ne couvrait pas ce type d’incident, l’équipe a donc dû s’adapter.
👥 ÊTRE BIEN ENTOURÉ
Que ce soit par la famille, ou professionnellement parlant, il faut que l’entourage soit prêt à vivre cette aventure avec nous. Pour gagner du temps, être entouré par de bons prestataires peut soulager des situations. Benjamin de Coton Vert, a fait appel à une entreprise de logistique de confiance, pour gérer ses stocks et ses commandes, c’est un gain de temps énorme pour le créateur.
⏳ AVOIR DES PROJETS D’AVENIR
Pour Douillet c’est travailler le marketing et changer de positionnement, en développant une image plus haut de gamme et artistique, c’est un bon moyen de justifier le prix d’un beau produit.
Maison Kouakou a participé à la création d’une fondation avec une association, pour créer une école de mode éthique et écoresponsable, en Bretagne, cette école sera ouverte pour les personnes de 18 à 78 ans. Irelle a même pour objectif d’ouvrir d’autres écoles de ce type, plus tard, à Montréal et à Abidjan, des villes auxquelles elle est attachée.
Continuer à développer sa marque et le nombre de pièces proposées est tout aussi indispensable, c’est la volonté de Les Sublimes, qui souhaite même créer sa propre boutique.
🗣️ ÊTRE BON COMMUNICANT
Ça rejoint, un peu, la partie “être bien entouré”, mais j’avais envie de proposer ma propre solution pour toutes les marques qui liront cet article.
J’ai 7 ans d’expérience dans le graphisme et 6 ans dans la communication, c’est pour cette raison que je me permets de vous écrire ce qui va suivre :
La communication est déterminante, soyez créatifs et qualitatifs, n’ayez pas peur de prendre du temps !
Je vois plein de marques qui proposent de beaux vêtements, mais qui ne savent pas toujours les mettre en valeur, par manque de temps ou de compétences. Si vous ne pouvez pas ou ne savez pas, ce n’est pas grave, on ne peut pas être bon partout. Mais faites-vous accompagner ! Il y a tant de choses à faire dans la slow fashion pour mettre en avant une marque. Mon premier conseil est de bien travailler la qualité de vos photos et vidéos. Mon deuxième conseil : contactez-moi si vous voulez que vous en donne d’autres, et surtout personnalisés. 🤪
Conclusion
Même si j’ai mis l’accent, dans cet article, sur les difficultés que rencontrent les marques de slow fashion, tout n’est pas perdu et rien n’est impossible, au contraire. Heureusement, que ces marques existent pour proposer une alternative, nous en avons besoin, et même si la démocratisation de la mode éthique et écoresponsable est lente, elle est là.
Maintenant voici d’autres réflexions sur le sujet :
- Est-ce que les villes et les pouvoirs publics peuvent apporter un soutien à ces marques, en proposant des locaux moins chers pour ouvrir des boutiques ? Toutes les marques éthiques et écoresponsables sont présentes sur internet, mais il manque l’expérience de voir, de toucher et d’apprécier un vêtement de qualité, avec la possibilité de l’essayer avant de l’acheter.
- La fast fashion pollue, les vêtements sont remplis de produits chimiques, et parfois toxiques. Leur impact sur l’environnement et la santé est donc négatif à long terme, est-ce qu’il ne serait pas judicieux d’augmenter la TVA pour ces marques ? Et de la réduire pour les marques de la slow fashion ? Pour équilibrer la balance impacts négatifs / impacts positifs. Car la fast fashion aura un coût sur le long terme.
- La France a perdu beaucoup de son savoir-faire dans le textile, mais doit-on tout faire en France ? Ou certains produits doivent-ils faire des kilomètres pour être plus qualitatif et durer davantage dans le temps ?
Pour aller plus loin, c’est tout le milieu de gamme dans la mode qui se casse la gueule, si vous me permettez l’expression. 🤭
L’objectif de la mode durable est d’habiller la plus grande partie de la population, la classe dite “moyenne”, pour proposer des alternatives à la fast fashion, sauf que… Le milieu de gamme traditionnel, “pas cher”, est en train de disparaître, mais pourquoi ?
Est-ce à cause de l’inflation et des inégalités croissantes entre les différentes catégories de la population ? Ou est-ce que le milieu de gamme n’a pas su se réinventer face à une mode en pleine mutation ? Attention ça tease, réponse dans le prochain article !
En attendant, rdv sur mon blog pour lire d’autres articles sur la slow fashion.
❤️ Merci, à celles et ceux qui ont participé et répondu à mes questions, pour rédiger cet article, grâce à vous, je comprends de plus en plus les enjeux et les problématiques de la slow fashion. Coeur sur vous. ❤️
2 Comments
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Gabrielle
Merci beaucoup Marion pour cet article très intéressant !
STUDIO GRIMEL
Ton article est pertinent a plus dun point et l’idée d’une TVA reduite pour les createurs artisans français serait tellement bienvenue ! Merci Marion pour ton engagement